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Pierre-Fortunat Pinsonneault
1964-1938

Même comme petit-fils de Pierre-Fortunat Pinsonneault, l'histoire de sa vie et de sa carrière m'était à toute fin pratique presque complètement inconnue jusqu'à ce que je rencontre celui qui est devenu un ami pour moi, Gilles Roux, photographe. cinéaste et artiste, et je l'en remercie bien sincèrement, personne mieux que lui ne peut vous faire revivre l'époque et la vie de Pierre-Fortunat Pinsonneault.

Gilles Roux m'a conté et me raconte encore aujourd'hui l'histoire de la vie, de la famille et de la carrière de mon grand-père. Je vous invite donc à lire ce que m'a raconté Gilles Roux dans un article qu'il a écrit pour la revue Érudit le 18 septembre 2019

Source:  URL: https://www.erudit.org/fr/revues/hq/2019-v25-n1-hq04864/91749ac/

Note biographique: Gilles Roux

 

Photographe et cinéaste depuis 1970. Il a réalisé 16 expositions solos et presque autant d’expositions collectives.

En 1972, il entre à l’emploi de l’UQTR à titre d’assistant à la réalisation. Il travaille à la série de films sur les métiers traditionnels réalisés par Léo Plamondon. Il commence alors à réaliser et produire des films. En 1984, il fonde un studio-école, « Les Ateliers photographiques », qu’il animera jusqu’en 2001.

 

Durant les années 1990, il collabore à quelques expositions à caractère historique. Il conçoit et réalise trois de ces expositions. En 2008, il publie un article qui résume sa recherche sur le photographe Pierre-Fortunat Pinsonneault et sa famille dans les Nouvelles pages trifluviennes aux Éditions Septentrion.

Il travaille depuis 2004 au film Pierre-Fortunat Pinsonneault, artiste-photographe, éditeur.

Pierre-Fortunat Pinsonneault (1864-1938) appartient à une famille de photographes. Comme tous les enfants du
« deuxième lit » de Camille Pinsonneault (1835-1920) (1), un boucher de Saint-Jean-sur-Richelieu, il en a pratiqué le métier. Ses trois frères, sa soeur et lui y furent initiés grâce à l’aîné, Joseph-Laurent (2), dont l’habileté et la compétence les assuraient d’une bonne formation.

Après son apprentissage auprès de son frère, Pierre- Fortunat partit travailler pendant un an (1885) au studio W.-J. Cady photographe à Holyoke, au Massachusetts, précédant ainsi ses frères Émile et Alfred-Zénon. Allait-il là-bas pour s’instruire ou dans l’espoir de s’y établir ? Pour apprendre la langue anglaise ou pour lier des relations d’affaires, car il a agi quelque peu de ce côté (3 ) On ne saurait le dire.

À son retour, Pierre-Fortunat migra à Trois-Rivières. Cautionné par son père, il acheta la faillite du photographe Louis Grenier, équipement et local compris, sis au 178 rue Notre-Dame. Ce ne fut que la première des adresses du studio qu’il eut jusqu’à sa mort en 1938.

Ses frères et sa sœur contribuèrent, à des degrés divers, à son œuvre trifuvienne et mauricienne. Alfred-Zénon (4) vint le rejoindre en 1896, mais tout à fait temporairement, car il prit la direction de Victoriaville où Pierre-Fortunat venait d’ouvrir un studio. Celui-ci a également compté sur le travail d’Émile (5), en 1897-1898, avant qu’il n’aille rejoindre son autre frère Alfred-Zénon. Quant à Fabiola (6), elle a également laissé sa marque à Trois-Rivières. Même éloignés et vivant dans différentes villes, ils formèrent une véritable équipe. Et, à certains égards, faire le portrait de Pierre-Fortunat est dessiner un portrait de la famille.

Les techniques
Les liens étroits qui les unissaient se voient dans le partage de leurs secrets techniques. Ils utilisaient l’or massif pour donner un peu de jaune à leurs portraits sépia et ils connaissaient les papiers au platine. Ils se servaient de la lumière naturelle, des diffuseurs et des réflecteurs. Les fonds de scène qu’ils dessinaient eux-mêmes se ressemblaient. Ils retouchaient minutieusement les négatifs de verre sur des tables lumineuses avec des crayons de plomb, des couteaux et des aiguilles pour gratter l’émulsion de sels d’argent. Presque toujours, ils imprimaient les photos sur des papiers à noircissement direct sans révélateurs. Ensuite, ils passaient les images dans des solutions à base de sel pour les débarrasser des sels d’argent non exposés. Puis, les photographies étaient lavées dans plusieurs bassins d’eau successifs. Suivaient des virages à l’or et au soufre. Enfin, les photographies étaient relavées dans plusieurs bassins d’eau. L’ensemble de ces opérations exigeait une main-d’œuvre nombreuse qui, pour une partie, était certainement composée des apprentis de leur studio.
 

Photographe et commerçant
Comme presque tous les photographes de studio de cette époque, les Pinsonneault ont développé d’autres activités commerciales pour parvenir à joindre les deux bouts. Pierre-Fortunat a vendu du savon, du thé, des nouveautés et de la vaisselle. Joseph-Laurent offrait du matériel de photo, du papier de luxe, des cadres et du chocolat. Alfred-Zénon avait son théâtre. Quant à Stanislas Belle, de Fraserville (Rivière-du-Loup), il faisait le commerce d’instruments de musique. Et Jules Ernest Livernois (1851-1933) tenait en magasin du matériel de photo bien qu’il pouvait aussi compter sur de lucratifs contrats gouvernementaux. Mais, rien de comparable aux fabuleux contrats obtenus des compagnies de chemin de fer par le studio « Notman » de Montréal.

 

Le marché
La réussite des Pinsonneault reposait sur plusieurs facteurs. La satisfaction d’une clientèle régionale exigeait de leur part une production d’images à prix populaire et accessible. S’imposait également un produit de qualité : des photographies pouvant résister au temps, comparables aux portraits des studios des grandes villes. Beaucoup de publications françaises et américaines (7) étaient alors accessibles pour supporter la révolution technologique qu’était la photographie. Les Pinsonneault participaient à cette mouvance.

Les Pinsonneault avaient en commun des stratégies de mise en marché : en établissant des clubs sociaux, en faisant des mosaïques des bourgeois de la ville, en participant à des concours nationaux et internationaux8. Ils recouraient au même illustrateur, J.-S.Daigneault, artiste-peintre de Marieville. Tous publièrent dans le Monde Illustré et dans l’Album universel. Dès que les journaux commencèrent à publier des photographies, ils firent de l’édition. Ils se lancèrent dans l’aventure de la carte postale avec la même boulimie.

La carte postale
Il faut certainement rappeler que la période entre 1904 et 1918 est considérée comme l’âge d’or de la carte postale9, facilitée par l’efficacité de la poste. Mais ce n’est pas  le seul facteur. Outre leur compétence, la plupart des photographes de cette époque avaient en commun une volonté féroce d’enregistrer des documents « pour la suite du monde ». Lewis Hine (1874-1940) dénonçait, à travers ses photographies, le travail des enfants et montrait la dignité des travailleurs. Eugène Atget (1856-1927) illustrait les matins de Paris, et Bellocq (1873-1949) documentait la vie des bordels de la Nouvelle-Orléans.

Pour les Pinsonneault, 1903 fut une année charnière. Pierre-Fortunat édita Souvenirs de Trois-Rivières, Qué., un petit livre format carte postale de 22 pages et de 40 photographies. L’impression d’une très grande qualité fut faite par The Albertype Co., de Brooklyn (New York). Avec son ami et collaborateur Jean-Baptiste Meilleur-Barthe, il publia aussi Trois-Rivières – Album Illustré – Histoire Géographie Industrie (10), une brochure de format tabloïd de 38 pages et 68 photographies, la plupart de Pierre-Fortunat.

Cette année-là, Pierre-Fortunat devint l’agent général des éditions Bergeret pour le Canada (11). Son entente avec le distributeur de ce grand producteur de cartes postales français lui donna accès à un imprimeur de grande qualité, l’imprimerie de Nancy. Celle-ci utilisait la « phototypie », un procédé qui permet la reproduction d’images sans trame d’une précision inégalée encore aujourd’hui. À partir de cette année 1903, les cartes postales des Pinsonneault et de leurs nombreux partenaires régionaux furent imprimées là-bas et redistribuées dans leur réseau de vente étendue (12).

Pour assurer l’édition et la distribution de leurs cartes, ils créèrent en peu de temps tout un ensemble de maisons d’édition:  « Pinsonneault, photo-édit, Trois-Rivières- Qué » pour Pierre-Fortunat, « Pinsonneault Frères édit., St-Jean & Sherbrooke », « Pinsonneault Frères édit., St-Jean P.Q. Can. », « Pinsonnaut, Édit. St-Jean, P.Q. », « A.-Z.Pinsonneault, photo » pour Joseph-Laurent et Alfred-Zénon. Cette structure reflète bien la forme de leurs liens : collaboration et indépendance (13), ce qui explique que la famille Pinsonneault a affronté avec succès de grandes compagnies britanniques et américaines.

Le chroniqueur visuel de son époque. 

D’autres photographes avaient précédé Pierre-Fortunat Pinsonneault à Trois-Rivières. Trois d’entre eux sont connus : Carlton en 1848 ; Lambert qui, établi dans la rue Alexandre en 1865, aurait été à l’origine de la série d’images stéréoscopiques de  Trois-Rivières ; ainsi que Louis Grenier, qui a cédé son commerce à Pierre- Fortunat. Antonio Héroux (1883-1937), un photographe reconnu, très bon techniquement, spécialiste des images panoramiques, a été son compétiteur à partir de 1900. Principalement actif après le feu de 1908, il a légué de très bonnes images de la reconstruction de Trois-Rivières. Durant les années 1930, il a réalisé une série de photographies de Trois-Rivières qu’il a lui-même éditées. Ses deux fils Georges et Paul prirent la relève.

Pierre-Fortunat a été au centre de ce regroupement de photographes régionaux. Ses images les plus connues sont celles de l’inondation de 1896 (14) et du feu de 1908 qui a détruit son studio, brûlant du même coup vingt ans de photographies et de négatifs, et ses illustrations de la Villa Mon Repos (15). Toutefois, c’est sa série de cartes postales sur des villes et des villages dans un rayon de 150 kilomètres autour de Trois-Rivières qui eut la plus grande ampleur. Accompagné de son frère Alfred-Zénon, Pierre-Fortunat a fait deux longs voyages de prises de vues en 1903 et 1905 (16). Ensemble, ils ont couvert un territoire allant du nord de Montréal jusqu’à Québec, village par village. Ils ont aussi photographié la rive sud du Saint-Laurent et la Haute-Mauricie. La majorité des images produites en cartes postales entre 1903 et 1908 proviennent de ces voyages. Elles portent en mémoire les communautés d’au moins quatre-vingts villages. Les cartes postales étaient numérotées selon la hiérarchie de l’époque. La première était l’église suivie du presbytère, des couvents, des maisons bourgeoises, des rues principales et des hôtels. Évidemment, la plus large couverture de cartes porte sur Trois-Rivières. Ces documents d’archives ont échappé au feu de 1908 grâce à leur diffusion sous forme de cartes postales (17).

Conclusion
Pierre-Fortunat était bien intégré dans la société locale. Son implication civique fut intense, notamment au Cercle Palamède (18) qui constituait en 1900 une véritable « maison de la culture » avec sa bibliothèque et ses activités de loisirs. De plus, son rôle d’éditeur et de photographe auprès des associations de citoyens a contribué à la reconstruction de la ville. En 1910, Pierre-Fortunat et Jean-Baptiste Meilleur-Barthe créèrent une deuxième brochure pour promouvoir la ville. Publiée par l’Association des citoyens des Trois-Rivières, son but était de promouvoir les intérêts de la ville et de faire valoir ses nombreux avantages comme centre industriel et commercial.

Les Pinsonneault se présentaient toujours comme des « artistes photographes ». Encore aujourd’hui, rares sont les photographes qui affirment autant leur nature d’artiste. Les images qu’ils ont laissées sont essentielles à beaucoup de livres d’histoire, et il est regrettable qu’on néglige souvent de les considérer comme des artistes en arts visuels au même titre que les peintres ou les graveurs.

Quand Pinsonneault est mort en 1938, cinquante ans après son arrivée, Trois-Rivières comptait quarante mille habitants, presque cinq fois plus qu’à son arrivée. Imaginez le changement. Il avait préservé pour nous la senteur des bateaux de pommes, le vent sur le fleuve, la tranquillité des rues et la beauté des parcs. Il avait vu brûler sa ville et participé à sa reconstruction. Il avait vu l’implantation des usines et l’arrivée de milliers de familles à la recherche du bonheur. Il avait photographié leur jeunesse, leurs mariages et leurs enfants. Il nous a transmis leurs émotions.
 

1 - Réjean Lapointe, « Les grands studios », dans Photo- Sélection, janv.-fév. 1987, p. 16-17 ; janv.-fév. 1988, p. 42-45 ; juil.-août 1988, p. 15-17.
2 - Joseph-Laurent (1862-1956) demeura à Saint-Jean-sur- Richelieu. Ses enfants Aimé, Luce et Marthe ont pris la relève du studio qui a existé de 1884 à 1966. Il a aussi initié Stanislas Belle, de Rivière-du-Loup, et B.-J. Hébert, de Saint-Hyacinthe. Il fut un maître de la photographie au Québec. Sylvie Berger, Joseph-Laurent Pinsonneault, artiste-photographe, Saint-Jean-sur-Richelieu, Musée Régional de Haut-Richelieu, 1993.
3 - Le Trifluvien, 4 août 1896, p. 3, col. 3 ; Ibid., 19 sept. 1905,
p. 8, col. 3 ; Ibid., 3 oct. 1905, p. 8, col. 3.
4 - En 1901, Pierre-Fortunat vendit son studio de Victoriaville à J.-O. Dubuc. Alfred-Zénon achèta alors un studio à Sherbrooke au 11, rue Wellington, où il a travaillé jusqu’à sa mort.
5 - Émile (1868-1911) a possédé son propre atelier à Trois- Rivières en 1897 ; il offrait « des portraits au crayon, au pas- tel ainsi que des gravures de toutes sortes et des peintures artistiques ». On dit aussi qu’il s’intéressait au cinéma. Il est allé rejoindre son frère Alfred-Zénon à Victoriaville en 1898, puis il a ouvert son propre studio à Danville dans les Cantons de l’Est. En 1901, il « a [eu] un sérieux accident de voiture en revenant d’une pratique de chant dans la municipalité de Clermont ». Il s’installa alors à Sherbrooke où il géra le Théâtre Auditorium qu’Alfred-Zénon venait d’acquérir. Il est mort de la fièvre typhoïde  à 43 ans.
Le Trifluvien, 19 nov. 1897, p. 3, col. 4 ; Ibid., 4 nov. 1898, p. 3, col. 3 ; Ibid., 6 déc. 1901. p. 8, col. 2.
6 - Fabiola (1873-1958) a aussi fait ses débuts sous la dire tion du frère aîné Joseph-Laurent. Elle a surtout travaillé avec Alfred-Zénon dans son studio de Sherbrooke. Elle est demeurée célibataire comme lui. Les petits-enfants de Pierre-Fortunat en gardent tous un très bon souvenir. Elle était la « bonne tante » présente à l’arrivée de nouveaux enfants, présente aussi lors des mauvais coups du destin, comme après le feu de 1908. Nous lui devons des images de Trois-Rivières des années 1930.
7 -  Le Trifluvien, 24 mai 1890, p. 2, col. 6-7.
8 -  Sylvie Berger, op. cit., p. 13 ; Le Trifluvien, 27 oct. 1896, p. 3, col. 4 ; Ibid., 8 août 1905, p. 8, col. 2 ; La Patrie, 3 août 1905.
9 -  Michel Lessard, « Les grands studios. Parmi les familles québécoises de photographes : les Pinsonneault 
(1875-c.1960) », dans Photo-Sélection, 1986, p. 52-53.
10 -  Le Trifluvien, 2 nov.1897, p. 3, col. 3.
11 -  Jacques Poitras, La carte postale québécoise : une aventure photographique, Laprairie, Éditions Bouquet inc., coll. 
« Signature Plus », 1990, 206 p.
12 -  Voici quelques-uns de ces collaborateurs, pour comprendre l’étendue de leur réseau : B.-J. Hébert de Saint- Hyacinthe, 
Joseph-Donat Richard de Nicolet, Joseph-Odilon Dubuc de Victoriaville, Stanislas Belle, de Rivière-du-Loup 
et Charles-Tancrède Desjardins de Sorel, les librairies Bilodeau et Campbell de Québec, J.-G.-A. Chagnon de 
Waterloo, A.-E. Fish d’Ayers-Cliff et E.-E. Précourt du Petit-Lac-Magog.
13 -  Toutefois, Joseph-Laurent a développé seul une série historique portant sur les personnages du Québec : des 
patriotes comme Octave Crémazie, Denis-Benjamin Viger, Lugder Duvernay, Wolfred Nelson, Louis-Joseph Papineau, 
et des membres du clergé, Thomas Cooke, François-Xavier Cloutier.
14 -  Le Trifluvien, 24 avril 1896, p. 5, col. 5.
15 -  Le Trifluvien, 8 août 1905, p. 8, col. 23 ; Le Soleil, 5 août 1905, p. 1.
16 -  Le Progrès de l’Est, 21 mars 1905, p. 3, col. 1 ; Le Trifluvien, 14 juil. 1905, p. 5, col. 1 ; Le Progrès de l’Est, 8 août 1905, p. 3, 
17 -  Maude Roux-Pratte, recherche iconographique réalisé lors de l’exposition Pierre-Fortunat Pinsonneault, photographe- 
éditeur, 1999.
18 -  Gilles Roux, Pierre-Fortunat Pinsonneault, photographe-éditeur, exposition présentée une première fois à l’hôtel de 
ville de Trois-Rivières, du 4 mars au 6 septembre 1999.

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